mardi 10 janvier 2012

le film du jour

"A Dangerous Method" : une triangulaire dans l'antichambre de la psychanalyse



Adapté d'une pièce de Christopher Hampton, créée en France en 2009 sous le titreParole et guérisonA Dangerous Method ne ressemble en rien au reste de l'oeuvre de David Cronenberg : c'est un film en costumes, la violence physique en est presque absente, et presque toutes les images baignent dans une lumière exquise, estivale et helvétique. Cette élégance formelle, qui pourrait presque passer pour du conservatisme, est l'écrin tout neuf des éternelles obsessions du cinéaste : la lutte entre le désir et la raison, les pulsions et la loi, le monde réel et le monde rêvé.

Par la vertu de la parole, l'emprise de cette hystérie qui défigure les traits et déforme le corps de la belle jeune fille est brisée, et l'existence de Sabina Spielreinpeut reprendre son cours, au point qu'elle deviendra elle-même une praticienne émérite de cette nouvelle science psychanalytique.
La méthode est néanmoins dangereuse. Elle affecte aussi bien le thérapeute que la patiente. Carl Jung et Sabina Spielrein doivent faire face au désir qu'a éveillé la cure. Pour que Jung se résolve à y succomber, il faut les encouragements d'un collègue et néanmoins patient, Otto Gross, qui se réclame à la fois de la psychanalyse et de l'anarchie. Dans ce rôle, Vincent Cassel est prodigieux de vitalité maligne, de subversion destructrice. La relation, éthiquement condamnable, entre Carl Jung et Sabina Spielrein n'arrange en rien les relations conflictuelles avec Sigmund Freud, qui voudrait faire du médecin suisse son prince héritier.
Cronenberg met en scène avec sûreté et précision ce grand spectacle intellectuel qui se déploie dans l'intérieur surchargé du bureau de Freud, dans les restaurants viennois ou sur le joli voilier que la femme de Jung lui a offert pour naviguer sur le Zurichsee. La lumière éblouissante, la beauté lointaine des architectures, les cadres inattendus font passer certaines séquences du côté du rêve ou des souvenirs enfouis, établissant un passage entre la rigueur intellectuelle des débats et les désirs obscurs qui sont leur objet.
Lutte contre la folie
Ces désirs sont à l'oeuvre dès qu'apparaît le personnage de Sabina Spielrein. Une fois franchies les premières étapes de la cure, le jeu de Keira Knightley, d'excentrique, se fait plus nuancé, quoique chaque instant de sa vie demeure une lutte contre le souvenir de sa folie. Le Carl Jung de Michael Fassbender est un jeune homme doué qui pourtant ne parvient à s'affranchir ni de la tutelle intellectuelle de Sigmund Freud ni de la tutelle matérielle de sa belle et très riche épouse. Quant au patriarche, Viggo Mortensen en fait un sage prudent à l'inépuisable persévérance, dans une interprétation érudite d'où l'humour n'est pas absent.
Tous vivent dans l'ombre de la catastrophe qui approche. Sigmund Freud rappelle à Sabina Spielrein qu'ils sont tous deux juifs et qu'à ce titre leur travail sera toujours l'objet de soupçons et de remises en cause qui leur seraient autrement épargnés. A la fin de la projection, les cartons qui rappellent le sort final des protagonistes sont particulièrement poignants. Sigmund Freud a été chassé de Vienne par les nazis pour mourir en exil à Londres, Sabina Spielrein, qui avait regagné la Russie dans le vain espoir de marier soviets et analyse, a été assassinée en 1941 par les troupes allemandes, avec le reste de la population juive de Rostov-sur-le-Don. Seul Carl Jung, Suisse allemand, a survécu à la guerre.



http://youtu.be/99D_sbQomME 

Film britannique et canadien de David Cronenberg,

avec Michael Fassbender, Viggo Mortensen, Keira Knightley, Vincent Cassel (1 h 39).
(source Thomas Sotinel Le Monde)

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